Tout l’effraie. La foule bien trop dense, le regard des gens qui la transperce, les contacts inopinés, le bruit assourdissant des trains, les lignes des pavés qui lui porteraient malheur si elle marchait dessus, les mots sur les panneaux publicitaires qu’elle peut se répéter une demi-heure dans sa tête sans s’en rendre compte. Elle n’aurait pas dû sortir de chez elle.
Elle lui avait pourtant dit qu’elle ne s’en sentait pas capable. Quelle idée de la faire aller dans une gare, aussi. Elle n’y a plus mis les pieds depuis… Depuis… Elle ne s’en rappelle même pas tant ça fait loin. Pourquoi ce foutu psychothérapeute a déménagé alors qu’il était si bien en bas de sa rue?
Elle pourrait aller chez quelqu’un d’autre, mais à quoi beau recommencer le travail à zéro ? Elle sent des progrès, ce n’est pas le moment d’abandonner. Et puis… Il lui a dit qu’à présent elle était capable de partir un peu à l’aventure. Aventure, tu parles… Elle voudrait juste se sauver de cet enfer.
Se sauver. Pourquoi utilise-t-on ce mot à la fois pour s’enfuir et se sortir du pétrin ? Se sauver, Se sauver. Elle voudrait se sauver, foutre le camp illico de cette gare, et en même temps, pour se sauver elle-même, d’elle-même, elle doit faire un effort et surmonter cette épreuve. Elle déteste les paradoxes, ça lui parasite l’esprit. Elle imagine la tête qu’elle doit faire pendant ces élucubrations mentales et se dit que tout le monde la regarde. Ça lui brûle la peau.
Respirer, respirer. Elle a presque oublié d’aller chercher son ticket de train, mais s’en rappelle à temps. Elle s’approche du guichet, et sort son petit mémo. Elle a préparé à l’avance ce qu’elle doit demander, ça lui évitera de paniquer et chercher ses mots. « Mémo = Mes Mots » ? Ah non, mémo, pour mémoriser. Ouf, elle a failli repartir dans ses délires linguistiques. Foutu cerveau.
L’épreuve du guichet est remportée haut la main. Elle a évité de payer en monnaie, et a utilisé sa carte. Elle s’est entraînée longtemps sur la calculatrice à mettre son code, afin de ne pas hésiter mille ans sur les chiffres le moment venu. Elle a imaginé le drame si jamais elle se trompait. En montrant le moindre doute devant les gens, ils auraient pensé qu’elle a volé la carte. Et puis la police, et là ce serait le drame. Mais ses doigts ont bien retenu. Tout se passe à merveille jusqu’à présent. Elle serait presque fière d’elle. Elle pourra le dire à son psy.
Alors, maintenant, il faut chercher le quai. Le guichetier le lui a dit, mais elle a oublié. Ou plutôt, elle n’est pas sûre de sa mémoire. Peut-être lui joue-t-elle des tours en lui disant qu’il s’agit de la voie 6. Peut-être est-ce la 9, mais qu’elle aurait retourné pour lui faire une farce. Ou la 8 en en ajoutant une petite boucle. Elle va donc regarder sur le panneau d’affichage, et se rend compte qu’il s’agit bien de la 6. Ça va, mémoire a été gentille. Mais elle doit rester vigilante, toujours.
Elle ne préfère pas prendre les escalators, et choisit les bonnes marches d’escalier à compter. Une sur deux. Toujours. Avec la table de 2 pour avoir le nombre total de marches. Le dénombrement simple, c’est trop simple. La voilà qui gravit les marches une par une en comptant deux par deux. Mais dans sa tête, évidemment. Eviter d’attirer l’attention. Toujours.
A présent, elle est sur le quai. Le train est annoncé dans cinq minutes. Il y a quelques personnes présentes, et elle espère qu’aucun d’eux ne lui adressera la parole. Sinon, ça lui fera sans doute comme la dernière fois. Bégaiements, tremblements, et puis larmes de ne pas savoir guider l’homme qui demandait le chemin vers une quelconque destination. Le pauvre ne savait plus quoi faire et a fini par fuir en s’excusant.
Heureusement, personne ne semble la remarquer. En même temps, avec sa tête baissée, ce serait même le cas qu’elle ne s’en rendrait même pas compte. Ses cheveux lui servent de bouclier ou de paravent. Peut-être devrait-elle les couper, ou doit-elle apprendre d’elle-même à ne plus les utiliser comme tel ? Elle demandera à son psy quand elle arrivera tout à l’heure. Voilà le train.
Le coup des bouchons, c’était ingénieux. Le bruit n’est pas assourdissant, elle ne sent pas ses tympans vibrer comme à l’habitude au moindre bruit violent. Personne ne la croit lorsqu’elle dit clairement ressentir ce tremblement de la membrane tympanique, de même que les osselets qui se mettent en mouvement dans l'oreille moyenne. Elle le sait qu’elle le sent, pourtant. Enfin… Peut-elle vraiment se fier à son esprit dérangé ? Peut-être lui joue-t-il encore un tour en la faisant imaginer ça. Plus rien ne l’étonnerait.
La voilà dans le train. Elle doit descendre au prochain arrêt, et la maison de son psy est juste en face de la gare. Rien de bien dangereux ne devrait lui arriver, en théorie. Mais elle se méfie de la théorie. Sa vigilance doit être maximale. Toujours.
Elle lui avait pourtant dit qu’elle ne s’en sentait pas capable. Quelle idée de la faire aller dans une gare, aussi. Elle n’y a plus mis les pieds depuis… Depuis… Elle ne s’en rappelle même pas tant ça fait loin. Pourquoi ce foutu psychothérapeute a déménagé alors qu’il était si bien en bas de sa rue?
Elle pourrait aller chez quelqu’un d’autre, mais à quoi beau recommencer le travail à zéro ? Elle sent des progrès, ce n’est pas le moment d’abandonner. Et puis… Il lui a dit qu’à présent elle était capable de partir un peu à l’aventure. Aventure, tu parles… Elle voudrait juste se sauver de cet enfer.
Se sauver. Pourquoi utilise-t-on ce mot à la fois pour s’enfuir et se sortir du pétrin ? Se sauver, Se sauver. Elle voudrait se sauver, foutre le camp illico de cette gare, et en même temps, pour se sauver elle-même, d’elle-même, elle doit faire un effort et surmonter cette épreuve. Elle déteste les paradoxes, ça lui parasite l’esprit. Elle imagine la tête qu’elle doit faire pendant ces élucubrations mentales et se dit que tout le monde la regarde. Ça lui brûle la peau.
Respirer, respirer. Elle a presque oublié d’aller chercher son ticket de train, mais s’en rappelle à temps. Elle s’approche du guichet, et sort son petit mémo. Elle a préparé à l’avance ce qu’elle doit demander, ça lui évitera de paniquer et chercher ses mots. « Mémo = Mes Mots » ? Ah non, mémo, pour mémoriser. Ouf, elle a failli repartir dans ses délires linguistiques. Foutu cerveau.
L’épreuve du guichet est remportée haut la main. Elle a évité de payer en monnaie, et a utilisé sa carte. Elle s’est entraînée longtemps sur la calculatrice à mettre son code, afin de ne pas hésiter mille ans sur les chiffres le moment venu. Elle a imaginé le drame si jamais elle se trompait. En montrant le moindre doute devant les gens, ils auraient pensé qu’elle a volé la carte. Et puis la police, et là ce serait le drame. Mais ses doigts ont bien retenu. Tout se passe à merveille jusqu’à présent. Elle serait presque fière d’elle. Elle pourra le dire à son psy.
Alors, maintenant, il faut chercher le quai. Le guichetier le lui a dit, mais elle a oublié. Ou plutôt, elle n’est pas sûre de sa mémoire. Peut-être lui joue-t-elle des tours en lui disant qu’il s’agit de la voie 6. Peut-être est-ce la 9, mais qu’elle aurait retourné pour lui faire une farce. Ou la 8 en en ajoutant une petite boucle. Elle va donc regarder sur le panneau d’affichage, et se rend compte qu’il s’agit bien de la 6. Ça va, mémoire a été gentille. Mais elle doit rester vigilante, toujours.
Elle ne préfère pas prendre les escalators, et choisit les bonnes marches d’escalier à compter. Une sur deux. Toujours. Avec la table de 2 pour avoir le nombre total de marches. Le dénombrement simple, c’est trop simple. La voilà qui gravit les marches une par une en comptant deux par deux. Mais dans sa tête, évidemment. Eviter d’attirer l’attention. Toujours.
A présent, elle est sur le quai. Le train est annoncé dans cinq minutes. Il y a quelques personnes présentes, et elle espère qu’aucun d’eux ne lui adressera la parole. Sinon, ça lui fera sans doute comme la dernière fois. Bégaiements, tremblements, et puis larmes de ne pas savoir guider l’homme qui demandait le chemin vers une quelconque destination. Le pauvre ne savait plus quoi faire et a fini par fuir en s’excusant.
Heureusement, personne ne semble la remarquer. En même temps, avec sa tête baissée, ce serait même le cas qu’elle ne s’en rendrait même pas compte. Ses cheveux lui servent de bouclier ou de paravent. Peut-être devrait-elle les couper, ou doit-elle apprendre d’elle-même à ne plus les utiliser comme tel ? Elle demandera à son psy quand elle arrivera tout à l’heure. Voilà le train.
Le coup des bouchons, c’était ingénieux. Le bruit n’est pas assourdissant, elle ne sent pas ses tympans vibrer comme à l’habitude au moindre bruit violent. Personne ne la croit lorsqu’elle dit clairement ressentir ce tremblement de la membrane tympanique, de même que les osselets qui se mettent en mouvement dans l'oreille moyenne. Elle le sait qu’elle le sent, pourtant. Enfin… Peut-elle vraiment se fier à son esprit dérangé ? Peut-être lui joue-t-il encore un tour en la faisant imaginer ça. Plus rien ne l’étonnerait.
La voilà dans le train. Elle doit descendre au prochain arrêt, et la maison de son psy est juste en face de la gare. Rien de bien dangereux ne devrait lui arriver, en théorie. Mais elle se méfie de la théorie. Sa vigilance doit être maximale. Toujours.