Gare aux maux
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C'est la gare aux maux, prenez garde aux mots.

Des histoires, au détour d'une gare.
Des mots qui décrivent des maux.
Des petits bonheurs à toute heure.
Des vies qui se croisent, se mêlent et s'éloignent, pour un prochain voyage.

Sans frontières

9/16/2016

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Premier jour des vacances d’été rime avec gaieté, mais aussi avec gares bondées.

Les gens se préparent à passer quelques jours, une semaine à un mois pour les plus chanceux vers une destination quelconque, tant qu'ils se retrouvent hors de chez eux. Se déconnecter de la réalité, ils l’ont attendu toute l’année.

Certains partent en voiture, en avion, voire même en bateau, mais d’autres se contentent du bon vieux voyage en train.
 
C’est vrai que ce dernier a ses avantages :
  • Il permet de ne pas avoir à se préoccuper du trajet. Pas de bouchons ou de problèmes de stationnement ;
  • On peut voir du pays. En effet, le train, en allant d’un point A à un point B, passe par des chemins plus intéressants à voir que l’autoroute ;
  • On arrive à destination souvent plus reposé qu’après des heures de route, ou de stress en avion pour les plus angoissés ;
  • Pour les amoureux de la planète, le train pollue nettement moins que les autres transports ;
  • Enfin, pour peu que notre wagon ne soit pas trop rempli,  le trajet peut être assez confortable.

Hélas, pour ce dernier point, en ce premier jour de vacances, ce n’est pas gagné. En effet, la gare est remplie de vacanciers, avec leurs valises, leurs chiens, et la marmaille braillarde.

Dans cette foule qui  attend sur son quai un train en retard, il y a une petite fille qui pleure. Elle s’est levée tôt, ce qui la rend un tantinet ronchonne, elle n’aime pas attendre cet idiot de train qui tarde à arriver, et en plus, son ami Pico (hérisson en peluche tant aimé) est tombé. Elle a beau regarder partout sur le sol, pas de traces de lui. Elle a peur qu’il ait fugué.

Elle secoue la main de sa mère, mais celle-ci est trop occupée à gronder son frère aîné turbulent et surexcité. La voilà bien désappointée. Elle n’aime pas être ignorée, et se met donc à pleurer à gros sanglots bruyants pour attirer l’attention de sa mère, en vain.

Soudain, elle sent quelqu’un lui tapoter l’épaule. Derrière elle se tient un jeune homme qui lui tend son cher Pico. Le soulagement se lit sur le visage de la petite fille, elle prend son ami, et le serre contre elle de toutes ses forces. Elle sourit au garçon en lui disant merci monsieur. Il lui rend son sourire, et lui répond quelque chose qu’elle ne comprend pas.  

La mère semble enfin se rappeler l’existence de sa fille, et se tourne vers le jeune homme, prête à mordre quiconque s’intéresserait de trop près à sa petite chérie. L’enfant coupe court à la méfiance de sa mère en lui expliquant qu’il a retrouvé sa peluche fugueuse. Maman est soulagée, et le remercie.

Encore une fois, le garçon répond dans une langue étrangère. La mère le regarde attentivement, et se demande de quelle nationalité il peut être, avec ses cheveux sombres, ses yeux clairs, et ce parlé inconnu à ses oreilles.

Elle est coupée dans sa réflexion par son gamin qui se met à courir en rond dans la foule. Elle ne sait plus où donner de la tête, et essaie  en vain de  l’arrêter. Maudit marmot…

Tout à coup, le jeune étranger s’approche de lui, et tape dans ses mains en sifflant. Le garçon cesse sa course, en se demandant d’où vient cette musique.  Il fixe le jeune homme, étonné.

Celui-ci s’approche de lui, le prend par les épaules,  et le positionne droit comme un piquet, pieds joints. Sans un mot, il se met à côté de lui, dans la même posture, pied droit collé à son pied gauche. Ensuite, le voilà qui croise son pied droit derrière son pied gauche, remet le gauche à côté du droit, et recolle son pied droit à celui de gamin. Le voilà donc avec les pieds qui ne sont plus collés, mais légèrement écartés.

Il incite l’enfant à faire de même. Confus d’abord, celui-ci se prête néanmoins au jeu, et les voilà partis dans une bataille ardue. Tour à tour, chacun croise ses pieds, et l’écart entre leurs jambes se fait de plus en plus grand. Le perdant sera le premier à abandonner.

C’est le gamin qui perd, évidemment, avec ses petites jambes. Mais il le fait de bonne guerre. Il s’est amusé. La petite  fille rit et applaudit. La mère est ébahie de voir son fils calmé si rapidement, sans cris, sans colère, sans menaces. Elle regarde le jeune homme et lui sourit avec gratitude.

C’est là que le train arrive enfin. La foule se presse vers les portes, et la mère rassemble ses enfants et ses bagages.
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Soudain, elle  se rend compte qu’elle a perdu de vue le jeune étranger. Elle aurait bien voulu en savoir plus sur lui, et surtout, qu’il continue à lui montrer ses méthodes éducatives pendant le trajet…
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Ailleurs

8/9/2016

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C’est  le printemps, ça y est. Il ne fait pas encore très chaud, mais le ciel semble se dégager de plus en plus au fil des jours. Le soleil refait timidement surface, et les fleurs encore en boutons pointent le bout de leur nez.

Un vent de bonheur commence à flotter. Les gens eux-mêmes semblent sortir d’hibernation. La gare est remplie de voyageurs. Les yeux sont illuminés, les sourires fleurissent, comme les bourgeons citées précédemment.

Dans cette ambiance de gaieté générale, une jeune fille est aussi de sortie. Installée sur un banc dans le parc face à la gare, elle lit.
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On ne sait pas depuis quand elle est arrivée, mais ça fait des heures qu’elle est là, elle n’a donc pas l’air d’attendre quelqu’un. Étudierait-elle ? Elle semble pourtant lire un roman, qui a l’air bien passionnant vu sa concentration. En effet, rien ne semble la faire quitter sa page des yeux. Ni les annonces de trains, ni les gamins jouant au centre de la place, ni les trois personnes qui se sont succédé à côté d’elles. Elle lit, c’est tout.

Tout à coup, un des enfants trébuche et tombe tête la première sur le banc en face d’elle. Sa mère, un peu plus loin, crie et accourt : le môme a l’air de s’être cassé le nez. Quelqu’un appelle les secours. Il y a du sang partout. Un bébé pleure, une petite fille pleure, la mère demande à son fils ce qui lui a pris de trébucher comme ça, le gamin pleure. C’est la foire sur la place de la gare.
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Les secours arrivent, gyrophares, sirènes, tout le toutim. Certains passent la tête par leur fenêtre pour voir ce qu’il se passe, d’autres sortent carrément de la gare pour comprendre tout ce raffut.

Mais la jeune fille qui nous intéresse n’a pas levé une seule fois la tête de son bouquin pendant toute la durée de la scène. Une concentration pareille, on aura rarement vu ça. Enfin… Peut-on vraiment parler de concentration, ou s’agit-il d’égocentrisme, d’individualisme exacerbé ? Peut-être le livre fait-il juste office de barrière entre elle et le monde… Phobie sociale ? Allez savoir.

En y réfléchissant un peu, nous sommes en pleine journée scolaire. En théorie, elle n’a rien à faire là. De plus, à côté d’elle trône un sac à dos, qui s’avère peut-être être un sac de cours.

Soudain, le ciel commence à se couvrir. Il fallait s’y attendre, le printemps ici est souvent mitigé… Des nuages sombres s’amoncellent au-dessus des têtes levées, et la plupart des gens commence à aller s’abriter, en prévision de la pluie qui ne va pas tarder.

La jeune personne qui nous observons n’a encore une fois pas remarqué ce qui arrive. Elle continue à lire, imperturbable. Bientôt son bouquin sera parsemé de petites gouttes, et seulement alors, elle pourra  se rendre compte du déluge qui se prépare.

Ca y est, ce qu’on espère n’être qu’une averse commence. Ceux qui ne se sont pas encore protégés quelque part se mettent à courir. Les moins farouches ne sont pas perturbés par l’eau dégoulinant de leurs cheveux. Les flaques se forment sur la place. C’est une pluie torrentielle qui commence là.

Mais… Attendez… Quelque chose cloche. La jeune fille n’a pas bougé d’un pouce malgré les trombes d’eaux qui s’abattent sur elle. Enfin… Pas tout à fait en y regardant de plus près. Ses cheveux à elle ne dégoulinent pas. Son livre ne s’est pas gorgé d’eau. Que se passe-t-il devant nos yeux ?
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C’est comme si la pluie la traversait. Elle tombe au-dessus d’elle, oui, mais se retrouve sur le banc et au sol sans même tremper ni elle, ni son livre, ni son sac.
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L’orage commence à gronder au loin. Il fait noir comme en pleine nuit. Elle ne devrait plus rien voir de son roman, et pourtant, elle tourne inlassablement les pages, unes à unes, invariablement sèches.
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Soudain, elle arrive à la fin de son livre. On peut voir ses yeux suivre la dernière ligne, arriver au point final, et… Retourner à la première page. 
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Sourire

6/29/2016

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Sa journée de travail est terminée, il a pris son train pour rentrer. Troisième wagon, deuxième classe. Une heure trente de trajet. Comme il l’a fait hier, et comme il le fera demain. Cette routine le déprime au plus haut point.

Comme d’habitude, le train se remplit à l’arrêt succédant au sien. Un flot de personnes entre, et une jeune fille s’installe en face de lui in-extremis avant que quelqu’un ne lui fauche la place. Il ne prête tout d’abord pas attention à elle, préférant se plonger dans son roman. Le trajet passera moins lentement.

Malgré sa résolution, il ne peut s’empêcher de jeter un coup d’œil à la fille en face de lui à travers son reflet dans la vitre. Elle regarde par la fenêtre, un léger sourire aux lèvres. Il se demande ce qu’elle peut bien y voir, puisqu’il fait nuit noire avec seulement quelques lumières à l’horizon. Ce n’est pas commun de voir quelqu’un sourire aux anges comme ça, fin de journée, en pleine heure de pointe.

Son imagination commence à s’emballer. Peut-être, après tout, n’est-elle pas allée travailler ? Voilà une explication probable à sa bonne humeur. Mais qu’a-t-elle donc bien pu faire de sa journée pour sourire ainsi dans le vide ?

Elle revient peut-être de chez son petit-ami ? Il essaye d’apercevoir une bague ou un collier trahissant une histoire d’amour, mais c’est l’hiver, et elle est restée emmitouflée dans son manteau. Il réfléchit, et se dit qu’elle devrait être déprimée si c’était le cas. Ou peut-être se rend-t-elle chez lui !

Il imagine une autre possibilité. Peut-être revient-elle d’un examen qu’elle a réussi ? Il l’observe, et essaye d’imaginer quel genre d’études elle pourrait faire. Avec ses cheveux blonds coupés courts tout ébouriffés, son nœud qui entoure sa tête, ses bas rayés de toutes les couleurs et son air ingénu, elle ressemble à… Une institutrice maternelle? Non, il pencherait plutôt sur… Une artiste. Une actrice ayant passé une audition concluante peut-être ? Il y a quelque chose dans son regard qui semble avoir un tas de choses à transmettre. Pas du savoir, comme un professeur, mais plutôt des émotions.

Il se rend compte qu’elle a des espèces de gros écouteurs vissés aux oreilles. Quel genre de musique peut-elle bien écouter ? Il ne l’avait pas remarqué, mais ses doigts bougent de manière quasi imperceptible, comme s’ils reproduisaient une partition silencieuse. Ça y est, il l’imagine musicienne. Se rendrait-elle à un quelconque café-concert pour partager sa musique ? Elle n’a pas de guitare ou autre instrument avec elle, pourtant…

Au fil de ses dérivations mentales, il ne s’est pas rendu compte qu’elle s’est mise à le fixer, toujours avec son petit sourire. Il se sent gêné de se faire prendre la main dans le sac en pleine séance de ce qui pourrait être interprété pour du matage. Dieu lui en est témoin, il n’avait pas de pensées malsaines, ce n’est pas son style de s’intéresser aux filles dans son genre…

Il détourne les yeux, puis se ravise. Il faut qu’il sache. Prenant son courage à deux mains, il lui demande si elle ne serait pas musicienne, car il invente avoir l’impression de l’avoir déjà vue lors d’un concert. Elle garde son éternel sourire, mais ne dit pas un mot. Il est confus et se demande si elle n’aurait tout simplement pas un retard mental, ce qui expliquerait son air béat et ses tics manuels.

La voilà qui se met à fouiller dans son sac, et en sort un bloc-notes et un stylo. Elle écrit frénétiquement dessus, et le lui tend. Il lit « Pouvez-vous répéter lentement ? Que je puisse lire sur vos lèvres ». Ce message est suivi d’un smiley souriant. Ce sourire, encore et toujours.

Il se sent con. Il n’ose plus poser sa question, maintenant… Demander à une sourde si elle est musicienne… Quelle horrible insulte. Mais il prend parti de sourire aussi, peut-être a-t-elle le sens de l’humour… La situation est quand même cocasse. Il préfère lui écrire son message en dessous du sien, et espère vraiment qu’elle ne le prendra pas mal. Il retient son souffle.

La voilà qui éclate de rire, il peut respirer. Elle lui répond par écrit qu’il est très observateur. En effet, elle est violoniste. Elle n’a pas toujours été sourde, et continue à s'entraîner chaque jour pour ne rien perdre de son savoir-faire. Elle ressent les vibrations de l’instrument, et elle est sûre que ça lui suffira pour devenir la plus grande violoniste sourde du monde.

Il est fasciné devant son optimisme empreint de naïveté. Il n’en revient pas d’avoir rencontré une fille comme ça, une fille qui semble prendre la vie comme elle vient et qui s’accommode des obstacles comme s’ils n’existaient pas. Il devrait en prendre de la graine.

Il jette un œil dehors, et se rend compte qu’il arrive à son arrêt. Il n’a pas le temps de lui écrire un dernier message, et se contente de lui faire un grand sourire. Elle a compris tout ce qu'il fait passer dans celui-ci, et le lui rend.

Pour une fois, son trajet est passé vite, et il aurait voulu qu’il n’en finisse pas.  
                                                                                                                       
 
 
 
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En fuite

6/13/2016

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Vingt-trois heures trente. Elle sait qu’elle aurait dû partir plus tôt, mais son père a tardé à se coucher. Après avoir attendu assez longtemps pour qu’il s’endorme, elle s’est levée sans bruit et a installé des coussins en boule sous ses couvertures pour simuler sa présence dans le lit. Le temps de prendre son sac à dos et d’enfiler son gilet à capuche, la voilà en train d’ouvrir la porte tout doucement en tendant l’oreille.

Pas de réaction dans la pièce à côté, la voie est libre. Elle descend lentement les escaliers, en chaussettes et chaussures en main. Elle atteint la porte d’entrée, appuie délicatement sur la poignée, et écoute une dernière fois si personne ne s’éveille. C’est bon, elle est dehors, enfile ses baskets, et court à toute allure.

Ils sont censés se rejoindre devant la gare, elle espère que tout se passe bien pour son évasion à lui. S’il n’est pas là… Elle écarte cette éventualité de son esprit, il ne peut pas lui faire ça. Elle surveille son téléphone en ralentissant l’allure. Après tout, ils ne doivent se retrouver qu’à minuit. Et puis, il faut qu’elle soit discrète. Que personne ne la ramène à la maison…

La voilà devant la gare. Le train est prévu pour minuit et demi, elle a donc le temps de l’attendre un peu. Malgré tout, elle met son capuchon sur sa tête, au cas où quelqu’un la reconnaîtrait. Cette ville est petite, tout le monde se connaît un peu dans ce coin perdu.

Les minutes s’égrènent, et elle ne le voit toujours pas arriver. Elle se décide à aller chercher les tickets en attendant. Arrivée à l’endroit prévu à cet effet, le guichetier hausse les sourcils en la regardant. Il lui demande pourquoi une si jeune fille prend le train si tard, pour aller si loin. Elle lui répond qu’elle est accompagnée de sa mère, que celle-ci  va la rejoindre, mais est en retard. Donc, elle prend leurs billets en attendant. Elles vont rejoindre ses grands-parents à qui elles n’ont pas rendu visite depuis longtemps. Elle invente au fur et à mesure. Elle a toujours été douée pour improviser des mensonges.
 
Il semble accepter ses explications, et  lui tend ses tickets de train. Elle se dirige de nouveau devant la gare, en imaginant qu’il doit être là, à présent. Hélas, pas de trace de lui… Elle sort son téléphone pour l’appeler, la peur au ventre.

Il répond à la quatrième sonnerie. Le pire des scénarios  est en train de se produire. Il s’est dégonflé. Il ne la pensait pas sérieuse, et dit que c’est de la folie. Elle raccroche sans lui laisser le temps de finir sa phrase. C’est la panique. Elle ne peut pas rentrer chez elle. Jamais.

A peine a-t-elle rangé son téléphone qu’il se remet à sonner. Elle pense que c’est lui qui veut continuer ses excuses bidons, mais en lisant « maman » sur l’écran, elle est prise de panique. Ils se sont aperçus de sa disparition. Ce n’était pas censé se produire avant demain matin, quand elle aurait mis assez de distance entre eux !

Elle éteint son portable, pour ne pas qu’ils la tracent, même s’ils doivent se douter d’où elle se trouve. Elle court vers son quai. Il est minuit vingt-cinq, pourvu que le train n’ait pas de retard… Si elle arrive à entrer dedans avant leur arrivée, elle a des chances de s’en sortir. Ils n’appelleront pas la police, elle le sait.

Elle voit le train arriver au loin, et se dirige le plus loin possible des escalators d’accès au quai, au cas où. Son cœur bat beaucoup trop vite, elle a peur de faire un malaise tant elle est angoissée, mais se ressaisit. Elle va y arriver cette fois-ci. Ils ne l’auront pas. Plus.

Le train est arrivé, et alors qu’elle monte à bord, son regard accroche une silhouette familière du  coin de l’œil. C’est son père, elle le sait. Il est en train de descendre les escalators  en précipitation. Elle va se cacher dans  les toilettes et espère qu’il n’a pas vu où elle est montée. Elle prie pour que le train démarre rapidement.

Elle entend le long bip qui précède la fermeture des portes, et peut enfin sortir des WC. Elle regarde sur le quai, et le voit. Il a l’air en colère, et donne un coup de pied à une poubelle. Elle pousse un long soupir lorsque le train démarre. Elle a réussi. Bientôt, elle sera loin.
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Histoire en sépia

5/21/2016

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Cela fait quelques mois que la gare a été inaugurée, mais elle n’a pas encore eu l’occasion, ou disons plutôt la permission, d’y aller. Sa mère est encore trop terrifiée par l’industrialisation de la société, et ne fait pas confiance à ces grosses machines nommées locomotives. Elle ne jure encore que par son attelage, et préfère subir des jours et des jours de voyage plutôt que de monter dans ces engins du démon, selon ses propres termes.

Pourtant, il faudra bien qu’elle s’y fasse. Les avancées industrielles sont en plein essor, et les gares sont devenues un moyen fabuleux de relier les grandes villes en un temps record. Elle est fascinée depuis qu’elle a vu une photo de ces monstres à vapeur. Elle ne comprend d’ailleurs pas comment la vapeur, qui vient de l’eau, peut faire se déplacer de si grosses machines…

Elle est sortie de chez elle en fraude, sans chaperon, avec un grand chapeau pour ne pas se faire reconnaître. Peut-être sa toilette est-elle un tantinet luxueuse, mais elle n’avait que ça dans sa penderie. Déjà qu’elle a dû se vêtir seule, pour ne pas alerter les femmes de chambre… Si sa mère apprenait où elle se rend, elle en ferait toute une maladie…

Heureusement, la gare se trouve à deux pâtés de maison de sa demeure familiale. Elle serre bien son réticule contre elle, pour ne pas tenter les mains trop avides des brigands, et se retrouve déjà à l’entrée. Sur la devanture campe une énorme horloge. Les dorures sont magnifiques, elle s’extasierait bien dessus quelques minutes, mais se fait bousculer par la foule pressée d’entrer. La voilà prise dans la cohue !

Elle n’est pas habituée à tant de promiscuité, surtout avec des individus de cette classe sociale. Si sa mère l’apprenait… Soudain, elle manque de trébucher mais se fait retenir in extremis par une main inconnue la maintenant par la taille. Elle se retourne brusquement, et la voilà nez-à-nez avec un jeune homme de… Comment dire… Basse extraction ?

 Elle le sait à son accoutrement que les garçons d’écurie de sa maison n’oseraient même pas porter, et à sa main rugueuse qui vient lui prendre la sienne pour la baiser. Un gentil-homme  n’a pas de callosités crées par le travail. Un gentleman ne baiserait pas la main d’une dame sans avoir été présenté, d’ailleurs… Mais elle se dit que les mœurs, dans la rue, ne sont sans doute pas les mêmes. Elle va donc se prêter au jeu, pour ne pas se faire démasquer.

Elle lui sourit, et se laisse emporter sur le côté, où la foule est moins dense. Le jeune homme lui demande son nom, et avant même qu’elle ne s’en invente un, il enchaîne en lui demandant ce qu’elle fait, si bien habillée, dans cette gare. Surprise de sortir si vite du lot, elle réfléchit un instant, le regarde dans les yeux et se dit qu’elle peut lui faire confiance. Elle lui avoue son nom, son rang, et pourquoi elle est là.

Il n’a pas la réaction escompté, ne semble pas se rendre compte de qui elle est, elle, fille de Comte. La voilà bien désappointée et remise à sa place. Il n’y a bien que les membres de la haute société pour s’imaginer intéresser le bas peuple. Enfin, elle se remet vite de sa déception lorsqu’il tire la révérence en se proposant comme guide. Il connait bien les gares, a justement du temps aujourd’hui, et lui prend donc le bras pour lui faire faire une petite visite.

Durant leurs pérégrinations à l’intérieur de la gare, où il n’y a finalement pas grand chose à voir à part des quais, des rails, et des hommes qui travaillent à faire elle ne sait trop quoi, son compagnon lui raconte qu’il vient de la campagne et qu’il a dû quitter sa famille pour trouver un emploi en ville. En effet, avec l’industrialisation, il n’y a plus assez de travail dans les fermes. Il se rend maintenant dans une usine quinze heures par jour, tous les jours sauf le dimanche pour être payé 5 francs la journée.

La jeune fille est horrifiée d’entendre ça. Il faut dire que dans sa famille, les hommes ne travaillent pas. Ils n’en ont pas besoin, et ne l’envisagent même pas, ce serait vulgaire. De même que parler d’argent, d’ailleurs, mais elle fait comme si cela ne la choquait pas, le jeune homme en serait peut-être blessé.

Elle lui sourit, et lui dit qu’elle le trouve bien courageux. Il rétorque qu’elle n’a pas à avoir pitié de lui, il aime son travail, mais encore plus ses temps libres, surtout en si bonne compagnie. Il voudrait lui offrir quelque chose, mais n’en a pas les moyens.

Soudain, un grand bruit se fait entendre, et elle sursaute. C’est une locomotive qui arrive ! Le jeune homme passe son bras sur ses épaules comme pour la protéger, tandis qu’elle retient son chapeau pour ne pas qu’il s’envole avec la bourrasque créée par la machine. Quelle quantité de vapeur! elle n'y voit plus rien. Lorsque la locomotive s’arrête, un morceau de charbon s’échappe et atterrit aux pieds du garçon.  Il le ramasse, l’enveloppe dans son mouchoir et le lui tend comme souvenir de la journée.

Elle est émue, le remercie, et se dit qu’il est temps pour elle de rentrer. Il la raccompagne à l’entrée, et lui demande s’ils se reverront. Elle se contente de lui sourire en partant, serrant fort son charbon dans sa main.
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Petit mot.

5/12/2016

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C’est inconfortable, cette position qu’elle lui a fait prendre. Tout plié, dans ce coin plein d’aérations. Il a un peu froid, et il se sent tout secoué lorsque le train démarre. Pourquoi l’a-t-elle sorti de son bloc-notes ? Elle a toujours des idées farfelues.

Aujourd’hui commence une nouvelle aventure pour lui. Il contient un message à son tour, comme il a vu ses frères en recevoir : gribouillages, phrases à la volée, petits mémos. Mais il est le seul à avoir été décroché. Ça, il en est sûr. Ça veut dire quoi ? Qu’il est plus important, ou qu’il ne vaut pas tripette ?

Il est devenu un petit papier coincé dans le trou d’aération d’une banquette de train. Génial. A quoi pensait-elle, cette bécasse ? Rencontrer l’amour en laissant son numéro de portable à un inconnu ? Elle n’est quand même pas si désespérée…

Il ne croit pas qu’elle soit assez puérile pour avoir écrit des insultes. Bien que cette idée lui aurait bien plu, lui. C’est le petit plaisir des bouts de papiers : Pouvoir ressentir ce qui traverse la tête du  lecteur au moment de son déchiffrage. Ou délettrage ? Enfin, de sa lecture quoi. C’est fugace, mais bien réel. Et en imaginant les pensées d’une inconnue lisant qu’elle est une morue, il sait que ça l’aurait beaucoup amusé.

Une idée horrible lui traverse le quadrillage. Serait-il une lettre de suicide ? Elle n’a pas pu lui faire ça, quand même ! Il n’y a rien de pire pour une feuille de papier que de se retrouver avec des mots d’adieux sur le dos. Ah si, il y a les listes de courses aussi…

Peut-être est-il une énigme ? Une blague ? Un dessin ? Ou juste un « I Was Here » ? Il ne le saura que lorsqu’il sera lu. Ça va peut-être prendre une plombe, mais il faudra qu’il soit patient si jamais ça se prolonge. Il espère juste ne pas se faire jeter à la poubelle en se faisant confondre avec un détritus…

Soudain, il ne ressent plus le courant d’air de l’aération, et se fait soulever. Pas la poubelle, pas la poubelle ! Quelqu’un tire sur ses coins pour le déplier. Ouf, ça y est, il va se faire lire, ça n’aura pas traîné :

 « Bonjour, ou bonsoir, toi qui me lis. Tu me permets de te tutoyer ? Je suis un mot là pour t’apporter un peu d’occupation, en ce trajet de train. J’espère t’amener un sourire aux lèvres, c’est toujours bénéfique, en ces temps de peurs et de craintes permanentes pour l’avenir.

J’espère que tu vas bien, et que tu es heureux. Sincèrement.

Si tu veux, toi aussi, tu peux apporter un petit bout de bonheur, soit en me remettant où tu m’as trouvé, où mieux, en coupant la partie vierge de cette feuille et en écrivant ton propre petit mot à quelqu’un. Glisse-le dans le prochain train que tu prendras. Dans ce cas, peut-être parviendrons-nous à semer un peu de bonheur dans le quotidien monotone de quelques personnes.
​Merci de m’avoir lu. Par pitié, ne me jette pas à la poubelle.»

Ah là, Il se sent bien, le petit mot. Il a l’impression d’être spécial. Il sentirait presque ses bords se retrousser sous l'émotion. Il n'y a qu'un hic, cette suggestion de le déchirer en deux. Quelle barbarie!
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Se sauver ou se sauver?

5/10/2016

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Tout l’effraie. La foule bien trop dense, le regard des gens qui la transperce, les contacts inopinés, le bruit assourdissant des trains, les lignes des pavés qui lui porteraient malheur si elle marchait dessus, les mots sur les panneaux publicitaires qu’elle peut se répéter une demi-heure dans sa tête sans s’en rendre compte. Elle n’aurait pas dû sortir de chez elle.

Elle lui avait pourtant dit qu’elle ne s’en sentait pas capable. Quelle idée de la faire aller dans une gare, aussi. Elle n’y a plus mis les pieds depuis… Depuis… Elle ne s’en rappelle même pas tant ça fait loin. Pourquoi ce foutu psychothérapeute a déménagé alors qu’il était si bien en bas de sa rue?

Elle pourrait aller chez quelqu’un d’autre, mais à quoi beau recommencer le travail à zéro ? Elle sent des progrès, ce n’est pas le moment d’abandonner. Et puis… Il lui a dit qu’à présent elle était capable de partir un peu à l’aventure. Aventure, tu parles… Elle voudrait juste se sauver de cet enfer.

Se sauver. Pourquoi utilise-t-on ce mot à la fois pour s’enfuir et se sortir du pétrin ? Se sauver, Se sauver. Elle voudrait se sauver, foutre le camp illico de cette gare, et en même temps, pour se sauver elle-même, d’elle-même, elle doit faire un effort et surmonter cette épreuve. Elle déteste les paradoxes, ça lui parasite l’esprit. Elle imagine la tête qu’elle doit faire pendant ces élucubrations mentales et se dit que tout le monde la regarde. Ça lui brûle la peau.

Respirer, respirer.  Elle a presque oublié d’aller chercher son ticket de train, mais s’en rappelle à temps. Elle s’approche du guichet, et sort son petit mémo. Elle a préparé à l’avance ce qu’elle doit demander, ça lui évitera de paniquer et chercher ses mots. « Mémo = Mes Mots  » ? Ah non, mémo, pour mémoriser. Ouf, elle a failli repartir dans ses délires linguistiques. Foutu cerveau.

L’épreuve du guichet est remportée haut la main. Elle a évité de payer en monnaie, et a utilisé sa carte. Elle s’est entraînée longtemps sur la calculatrice à mettre son code, afin de ne pas hésiter mille ans sur les chiffres le moment venu.  Elle a imaginé le drame si jamais elle se trompait. En montrant le moindre doute devant les gens, ils auraient pensé qu’elle a volé la carte. Et puis la police, et là ce serait le drame. Mais ses doigts ont bien retenu. Tout se passe à merveille jusqu’à présent. Elle serait presque fière d’elle. Elle pourra le dire à son psy.

Alors, maintenant, il faut chercher le quai. Le guichetier le lui a dit, mais elle a oublié. Ou plutôt, elle n’est pas sûre de sa mémoire. Peut-être lui joue-t-elle des tours en lui disant qu’il s’agit de la voie 6. Peut-être est-ce la 9, mais qu’elle aurait retourné pour lui faire une farce. Ou la 8 en en ajoutant une petite boucle. Elle va donc regarder sur le panneau d’affichage, et se rend compte qu’il s’agit bien de la 6. Ça va, mémoire a été gentille. Mais elle doit rester vigilante, toujours.

Elle ne préfère pas prendre les escalators, et choisit les bonnes marches d’escalier à compter. Une sur deux. Toujours. Avec la table de 2 pour avoir le nombre total de marches. Le dénombrement simple, c’est trop simple.  La voilà qui gravit les marches une par une en comptant deux par deux. Mais dans sa tête, évidemment. Eviter d’attirer l’attention. Toujours.

A présent, elle est sur le quai. Le train est annoncé dans cinq minutes. Il y a quelques personnes présentes, et elle espère qu’aucun d’eux ne lui adressera la parole. Sinon, ça lui fera sans doute comme la dernière fois. Bégaiements, tremblements, et puis larmes de ne pas savoir guider l’homme qui demandait le chemin vers une quelconque destination. Le pauvre ne savait plus quoi faire et a fini par fuir en s’excusant.

Heureusement, personne ne semble la remarquer. En même temps, avec sa tête baissée, ce serait même le cas qu’elle ne s’en rendrait même pas compte. Ses cheveux lui servent de bouclier ou de paravent. Peut-être devrait-elle les couper, ou doit-elle apprendre d’elle-même à ne plus les utiliser comme tel ? Elle demandera à son psy quand elle arrivera tout à l’heure. Voilà le train.

Le coup des bouchons, c’était ingénieux. Le bruit n’est pas assourdissant, elle ne sent pas ses tympans vibrer comme à l’habitude au moindre bruit violent. Personne ne la croit lorsqu’elle dit clairement ressentir ce tremblement de la membrane tympanique, de même que les osselets qui se mettent en mouvement dans l'oreille moyenne. Elle le sait qu’elle le sent, pourtant. Enfin… Peut-elle vraiment se fier à son esprit dérangé ? Peut-être lui joue-t-il encore un tour en la faisant imaginer ça. Plus rien ne l’étonnerait.
​
La voilà dans le train. Elle doit descendre au prochain arrêt, et la maison de son psy est juste en face de la gare. Rien de bien dangereux ne devrait lui arriver, en théorie. Mais elle se méfie de la théorie. Sa vigilance doit être maximale. Toujours.
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Barricades

5/3/2016

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Elle a 18 ans, et comme chaque matin, elle va à l’université. Un bus, deux trains, et de la marche pour s’y rendre. Ça peut paraître contraignant pour certains, mais ce sont ses moments préférés de la journée. Les écouteurs vissés aux oreilles, elle est dans sa bulle et peut s’évader à sa guise au rythme de la musique.
​
C’est une bien mauvaise année qui a commencé, pourtant. Nouvelle école, ville où elle ne connait personne, et puis, une saleté de rupture amoureuse qui vient d’arriver au pire moment qui soit.

Elle entre dans son premier train, le jour ne s’est pas encore levé, et il fait encore sombre. Elle augmente le volume de sa musique et s’installe à une place libre. Elle se blottit dans le fond du siège, et regarde les lumières de la ville qui s’éveille par la fenêtre. Elle ne prête pas attention aux autres passagers.

Peut-être le jeune homme installé à côté d’elle sur l’autre rangée voudrait lui parler, mais même s’il essayait, elle ne répondrait même pas. Elle n’est pas là. Pas tout à fait là en tout cas. Elle a l’impression de flotter au-dessus du monde, et déteste qu’on la fasse redescendre, d’où les écouteurs à fond pour éviter d’entendre. Ça lui fait également une excuse pour ne pas répondre sans paraître impolie, même si elle l’est complètement.

Tout à coup, le train s’arrête entre deux gares. C’est inhabituel, elle s’en rend compte, et baisse le son en cas d’annonce du contrôleur. Le temps passe, et pas d’explications. Elle hausse les sourcils, et regarde autour d’elle. Ses yeux se posent sur le garçon, qui était en train de la regarder, son regard croise le sien, mais elle détourne la tête violemment en augmentant le son de sa musique.

 Elle déteste les contacts visuels. C’est comme si elle avait perdu, ou coupé ses sens depuis qu’il l’a laissée. La vue donc, l’ouïe avec sa musique pour ne plus entendre le monde, le goût puisqu’elle se force à grignoter un peu, le toucher…  Elle n’ose même pas y penser tant son contact lui manque, et l’odorat… Elle passe ses soirées à renifler un vieux T-shirt à lui qu’elle ne lui a pas rendu… De toute façon, il ne l’a pas réclamé. Tant mieux pour elle. Si elle le pouvait, elle prendrait ce T-shirt partout avec elle en plongeant le nez dedans. Mais son entourage commencerait sérieusement à s’inquiéter pour sa santé mentale.

Soudain, elle entend une voix dans le brouhaha des notes. Elle retire ses écouteurs, et écoute le jeune homme lui dire que le train va bientôt redémarrer, une annonce vient d’être faite, mais qu’elle ne l’a pas entendu avec Beethoven qui lui hurle dans les oreilles. Elle est choquée, et il rit de son air ahuri.

Oui, lui dit-il. Ça fait un mois qu’il l’entend à côté de lui dans le train. Ça tombe bien, il adore écouter de la musique classique, encore plus en jouer, mais il s’étonne qu’elle ne soit pas encore lassée de repasser encore et toujours la même sonate en boucle. Elle rougit, et s’excuse du désagrément en baissant la tête. Tiens, elle a parlé à quelqu’un.

Le train redémarre enfin, et elle s’en réjouit. Elle ne veut pas faire la conversation, surtout pas. Que personne ne la sorte de son marasme, bon sang. Elle sait que c’est Pathétique, de se mettre dans cet état pour un chagrin d’amour, mais elle veut souffrir tout son soûl en paix.

Heureusement, le garçon est perspicace, et la laisse retourner dans sa bulle. Malgré tout, il ne s’avoue pas vaincu. Ce n’est pas une défaite, il a pu entendre sa voix.  Ça fait un mois qu’il la voit, et ne sait pas comment lui adresser la parole. C’est chose faite, il pourra lui sourire demain, comme un rappel de ce petit dialogue. Il se réjouit de voir sa tête.

Le train arrive en gare, et elle attend qu’il se lève et parte pour en faire autant. Il a un rictus sarcastique en se disant qu’elle n’en a pas fini avec lui, il réussira à casser cette barricade autour d'elle.  Des filles jolies qui se saoulent à Beethoven, il n’y en a pas beaucoup.  Il se ferait un plaisir de lui jouer sa sonate. Ça tombe si bien qu’il la maîtrise. Il penserait qu’il s’agit du destin, s’il  y croyait.

Elle, de son côté, se dit qu’elle a eu chaud, elle a bien failli faire une nouvelle rencontre. Elle ne veut pas faire de nouvelles rencontres. Pas maintenant. On verra demain, après-demain, la semaine prochaine ou dans un mois... Ou deux, ou trois. On verra. La vie le lui dira.
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Distance

5/1/2016

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 Vendredi soir, 21h30. C’est l’heure à laquelle son train devrait arriver à la gare. Il ne lui a pas demandé de venir le chercher, lui ayant juste donné cette information, l’air de rien, en espérant qu’elle vienne quand même de son propre gré.

Il revient d’une mission de six mois à l’étranger. Ce n’est pas la première fois, mais ce coup-ci, ça a été vraiment difficile. Ils se sont séparés le jour de son départ, car elle n’en pouvait plus de tous ces déplacements et cette distance que son travail met entre eux. Il vient de passer six mois d’enfer à se poser mille questions.

Evidemment, ils se sont parlé au moins une fois par semaine. Elle lui racontait des détails de son quotidien, car elle sait comme ça lui fait du bien lorsqu'il est si loin de chez lui. Mais peut-être a-t-elle omis certaines informations... L’a-t-elle remplacé ? Il n’ose même pas l’imaginer tant cette idée lui fait mal, mais il avait trop de fierté pour lui poser clairement la question fatidique.

Il imagine deux scénarios :

Ou bien elle sera là, à l’attendre sur le quai de la gare, et il pourra lui dire qu’il s’agit de sa dernière permission avant de repartir une dernière fois, pour du vrai de vrai. Ils pourront donc se remettre ensemble, et enfin construire quelque chose très bientôt.

Ou elle ne sera pas sur le quai, et dans ce cas-là, il faudra qu’il fasse une croix sur elle. Ce serait tellement rageant, après 3 ans de relation, d’en finir comme ça, alors qu’il pourra bientôt rester au pays définitivement.

On dit toujours que le cap des trois ans est difficile, et que beaucoup de couples n’y survivent pas… Il prie pour ne pas faire partie du lot. Quand il pense au futur, il ne peut l’imaginer qu’avec elle. C'est une certitude, un point, c’est tout.

Son train arrive enfin à quai, et il regarde déjà par la fenêtre s’il ne l’aperçoit pas. Il y a tellement de monde... Le train s’arrête, et il se précipite  pour descendre. Regard à gauche, regard à droite, il tend l’oreille, mais rien. Elle n’est apparemment pas venue.

Il attend quand même que le quai se vide, avec un peu d’espoir, mais celui-ci s’amenuise de plus en plus au fil des minutes. Il se décide quand même à s’en aller, le cœur lourd. Il surveille néanmoins son téléphone, au cas où… Mais au cas où quoi ? Quel benêt d’avoir tant espéré alors qu’elle lui avait bien dit que c’était terminé entre eux. Il s’insulte intérieurement.  Il aurait tellement aimé qu’elle soit là à l’attendre. Qu’elle l’attende tout court pendant ces six mois.

Voilà ses pensées alors qu’il sort de la gare quand soudain, il se fait heurter de plein fouet si violemment qu’il en lâche ses gros sacs de voyage. Il boulet de canon vient de lui rentrer dedans, en baragouinant dans sa veste des excuses à propos de retard, mais il ne l’entend même pas.

C’est elle. Elle est là, elle ne l’a pas oublié, pas remplacé.

Il est heureux. 

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Intermède musical

4/27/2016

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Nous sommes mercredi, fin d’après-midi. Le soleil brille, et le temps est particulièrement doux en ce mois d’octobre. Il se dit qu’il va rester un peu dehors, devant la gare, avant de prendre son train.

Le jeune homme en question est de bonne humeur. Il vient du magasin de guitare, où il s’est acheté  une jolie acoustique d’occasion qu’il a eue pour une bouchée de pain compte tenu du modèle. C’est une bonne journée.

Assis sur un banc, il a envie de l’essayer un peu pour entendre à nouveau  le son de la bête. Il déteste ces pseudo-musiciens qui n’attendent qu’une occasion pour sortir leur instrument et frimer en public, mais là, il a des circonstances atténuantes. Et puis, il y a très peu de monde…

Il se lance, ouvre la fermeture éclaire de sa housse, et la sort. Il la regarde avec amour, et se dit qu’il a vraiment fait une bonne affaire aux vues de son excellent état. Il sort un onglet, l’accorde vite fait, et se plonge dans la musique sans regarder autour de lui.

Il commence par jouer Anji , de Paul Simon. C’est un bon test pour la guitare, et puis ça l’empêche de paraitre trop niais comme s’il sortait un Smell Like Teen Spirit en public. Paul Simon, la génération d’aujourd’hui connait peu, voire pas du tout, et ce morceau est plutôt intéressant à jouer. Il en a bavé pour l’apprendre.

Concentré sur sa guitare, il n’a pas entendu un vieil homme approcher. Ce n’est que quand celui-ci tape la mesure avec son pied que le jeune homme lève la tête, surprit. Mais pas autant que le nouveau venu, qui lui fait part de son étonnement d’entendre un garçon de son âge jouer de la musique des années 60’s, et un morceau si peu connu qui plus est.

Le jeune homme lui propose gentiment de s’asseoir à ses côtés. Il enchaîne avec un autre morceau, de Simon&Garfunkel cette fois-ci, et fredonne l’une des deux parties vocales. Quelle ne fut pas sa surprise en entendant la voix du vieil homme, éraillée par les années, réussir comme il peut la deuxième voix. Le jeune sourit, et se rend compte qu’il vit un moment particulier.

A la fin du morceau, ils éclatent tous les deux de rire. Le vieil homme lui dit que c’est une très belle guitare qu’il a là. Le garçon lui propose de l’essayer s’il sait jouer, et le vieillard baisse la tête, en avouant n’être plus sûr de pouvoir, à cause de cette fichue arthrose qui fait rouiller ses doigts.

Le jeune homme lui demande quand même d’essayer, et lui pose la guitare sur les genoux.  C’est là que le vieil homme tente de jouer Scarborough Fair, tant bien que mal, mais fait diversion en demandant au jeune s’il connait l’histoire de cette chanson. Ce dernier l'a déjà écoutée, mais n’en sait pas plus.

Le vieillard lui raconte donc l’histoire de cette ballade médiévale, qui a traversé les siècles sans prendre une ride. La chanson parle d’un homme qui envoie un messager retrouver la femme qu’il aime, afin qu’il lui demande des choses impossibles à faire pour qu’elle lui prouve son amour. Il conclut en disant que l’amour ne se prouve pas, il se ressent.

Le jeune homme est émut, et le remercie pour cette histoire. Il n’écoutera plus cette musique de la même façon. Il regarde l’heure, et se rend compte qu’il risque de rater son train. Le voilà donc qui range sa guitare en quatrième vitesse, dit au revoir au vieil homme, et entre dans la gare en courant.

Le vieillard restera assis longtemps sur ce banc, en se remémorant le passé, l’époque où lui-même jouait du Paul Simon devant les gares.  Pour lui aussi, c'est une bonne journée.
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    Auteur

    Jow

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    Mai 2016
    Avril 2016

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