C’est le printemps, ça y est. Il ne fait pas encore très chaud, mais le ciel semble se dégager de plus en plus au fil des jours. Le soleil refait timidement surface, et les fleurs encore en boutons pointent le bout de leur nez.
Un vent de bonheur commence à flotter. Les gens eux-mêmes semblent sortir d’hibernation. La gare est remplie de voyageurs. Les yeux sont illuminés, les sourires fleurissent, comme les bourgeons citées précédemment.
Dans cette ambiance de gaieté générale, une jeune fille est aussi de sortie. Installée sur un banc dans le parc face à la gare, elle lit.
On ne sait pas depuis quand elle est arrivée, mais ça fait des heures qu’elle est là, elle n’a donc pas l’air d’attendre quelqu’un. Étudierait-elle ? Elle semble pourtant lire un roman, qui a l’air bien passionnant vu sa concentration. En effet, rien ne semble la faire quitter sa page des yeux. Ni les annonces de trains, ni les gamins jouant au centre de la place, ni les trois personnes qui se sont succédé à côté d’elles. Elle lit, c’est tout.
Tout à coup, un des enfants trébuche et tombe tête la première sur le banc en face d’elle. Sa mère, un peu plus loin, crie et accourt : le môme a l’air de s’être cassé le nez. Quelqu’un appelle les secours. Il y a du sang partout. Un bébé pleure, une petite fille pleure, la mère demande à son fils ce qui lui a pris de trébucher comme ça, le gamin pleure. C’est la foire sur la place de la gare.
Les secours arrivent, gyrophares, sirènes, tout le toutim. Certains passent la tête par leur fenêtre pour voir ce qu’il se passe, d’autres sortent carrément de la gare pour comprendre tout ce raffut.
Mais la jeune fille qui nous intéresse n’a pas levé une seule fois la tête de son bouquin pendant toute la durée de la scène. Une concentration pareille, on aura rarement vu ça. Enfin… Peut-on vraiment parler de concentration, ou s’agit-il d’égocentrisme, d’individualisme exacerbé ? Peut-être le livre fait-il juste office de barrière entre elle et le monde… Phobie sociale ? Allez savoir.
En y réfléchissant un peu, nous sommes en pleine journée scolaire. En théorie, elle n’a rien à faire là. De plus, à côté d’elle trône un sac à dos, qui s’avère peut-être être un sac de cours.
Soudain, le ciel commence à se couvrir. Il fallait s’y attendre, le printemps ici est souvent mitigé… Des nuages sombres s’amoncellent au-dessus des têtes levées, et la plupart des gens commence à aller s’abriter, en prévision de la pluie qui ne va pas tarder.
La jeune personne qui nous observons n’a encore une fois pas remarqué ce qui arrive. Elle continue à lire, imperturbable. Bientôt son bouquin sera parsemé de petites gouttes, et seulement alors, elle pourra se rendre compte du déluge qui se prépare.
Ca y est, ce qu’on espère n’être qu’une averse commence. Ceux qui ne se sont pas encore protégés quelque part se mettent à courir. Les moins farouches ne sont pas perturbés par l’eau dégoulinant de leurs cheveux. Les flaques se forment sur la place. C’est une pluie torrentielle qui commence là.
Mais… Attendez… Quelque chose cloche. La jeune fille n’a pas bougé d’un pouce malgré les trombes d’eaux qui s’abattent sur elle. Enfin… Pas tout à fait en y regardant de plus près. Ses cheveux à elle ne dégoulinent pas. Son livre ne s’est pas gorgé d’eau. Que se passe-t-il devant nos yeux ?
C’est comme si la pluie la traversait. Elle tombe au-dessus d’elle, oui, mais se retrouve sur le banc et au sol sans même tremper ni elle, ni son livre, ni son sac.
L’orage commence à gronder au loin. Il fait noir comme en pleine nuit. Elle ne devrait plus rien voir de son roman, et pourtant, elle tourne inlassablement les pages, unes à unes, invariablement sèches.
Soudain, elle arrive à la fin de son livre. On peut voir ses yeux suivre la dernière ligne, arriver au point final, et… Retourner à la première page.